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L’importance du design graphique en UX, article 1 de 2 – L’état de la situation

Par Pascale Morneau

13/11/2014

Design_graphique_en_UXLe design graphique est une composante incontournable de l’expérience utilisateur (UX), la preuve n’est plus à faire. Ou… peut-être que oui?

Depuis que je pratique le design UX, incluant le design graphique des interfaces, j’ai rencontré différentes visions et approches du design graphique sur mon chemin. À mon avis, beaucoup de gens ne saisissent pas bien toute l’essence du design graphique.

Ce premier article d’une série de deux vise à faire l’état de la situation telle que je la perçois. Le deuxième tentera d’énoncer les huit principes qui illustrent le mieux l’importance du design graphique en UX, afin de briser certains mythes importants. 

L’état de la situation

J’ai entendu différents propos autour de moi qui me laissent penser que tout le monde, dans le domaine comme à l’extérieur, ne comprend pas bien la mission du design graphique. Voici quelques exemples :

«Il faut qu’un bon designer graphique passe derrière moi pour que ça soit beau»

«Le logotype est affreux, mais ce n’est pas grave, car l’interface est fonctionnelle»

«Le design graphique est seulement une question de goût et donc, il est secondaire»

«Je vais encore me faire bousiller mes wireframe au design»

Je me suis rendue compte que ces propos sont liés à des mythes très présents entourant le design graphique. Comme je vais tenter de tous les briser dans mon second article, je ne vais pas m’y attarder pour l’instant, mais m’intéresser au grand problème. Le fait que le design graphique soit très visuel semble faire en sorte que les gens le croient superficiel, alors qu’il doit puiser profondément dans l’ADN d’un produit pour le communiquer visuellement.

J’avoue avoir moi-même un peu boudé le design graphique à la sortie de ma maitrise, étant obnubilée et fascinée par toutes les notions et méthodologies acquises en architecture d’information, en recherche et documentation, en ergonomie et autres. Ces compétences m’apparaissaient alors plus fondamentales pour la qualité des produits et services que nous créons. Après beaucoup de réflexion, j’ai réalisé que ces produits et services ne peuvent toutefois pas exister sans le design graphique et donc, que celui-ci est crucial pour le UX.

L’avis de designers de Montréal

J’ai aussi voulu vérifier auprès d’autres professionnels en design graphique s’ils avaient parfois eu l’impression que le design graphique était de seconde importance pour leurs collègues et clients. J’ai été surprise de constater que ce n’est pas le cas pour tout le monde. Certaines agences semblent échapper à ces mythes.

Patrick Williams, designer graphique agréé et directeur de création à l’agence TP1 n’a pas senti cela du tout. Il pense même que ce soit le design UX qui soit parfois plus difficile à comprendre. Josiane Marquis, directrice artistique de la portion interactive chez LG2, partage son expérience:

«Heureusement, je n’ai jamais eu ce sentiment. Dans les agences de création, le design n’est jamais au second plan! J’ai eu la chance de travailler au sein de plusieurs agences créatives qui mettent l’idée, le concept au-dessus de tout. Ceci étant dit, pour arriver à réaliser les meilleures idées, il faut un travail d’équipe entre tous les intervenants.»

Frederic Blache, associé, directeur de la création et designer d’interaction chez Blache & Yong a quant à lui perçu des problèmes. Il expose son expérience antérieure :

«J’ai souvent eu l’impression que l’on prenait moins au sérieux le designer graphique que les professionnels en UX. Le UX, c’est une analyse sérieuse. On la remet moins en question, alors que le design graphique ouvre les portes de l’intuition et de l’émotivité. Certains designers jouant les divas n’ont pas aidé la cause non plus, car ils ont généré le stéréotype du designer qui se fiche des autres et fait ce qu’il veut. Quand j’ai commencé à pratiquer, les heures allouées au design étaient extrêmement réduites, comparativement à celles réservées pour le UX. Tout cela est moins pire aujourd’hui.»

Enfin, j’ai aussi demandé à Elaine Bossé, designer à son compte. Voici ce qu’elle partage:

«J’ai l’impression que le monde est divisé en deux: ceux qui veulent que ça fonctionne et ceux qui veulent que ça vende! Dans les entreprises, les ressources en design sont d’ailleurs souvent séparées de l’équipe de développement du produit, ce qui rend les choses beaucoup plus difficiles.»

Que dire de l’information présente sur Internet!

Les sources d’information avec de pauvres visions du design graphique abondent également sur Internet, autre signe que je n’exagère pas l’état de la situation. Je place un extrait d’article paru dans FastCompany (quand même) et qui m’a particulièrement choquée:

«Unlike UX designers who are concerned with the overall feel of the product, user interface designers are particular about how the product is laid out. They are in charge of designing each screen or page with which a user interacts and ensuring that the UI visually communicates the path that a UX designer has laid out. For example, a UI designer creating an analytics dashboard might front load the most important content at the top, or decide whether a slider or a control knob makes the most intuitive sense to adjust a graph.»

Là où le bât blesse

La prochaine question qui s’impose est: Pourquoi sommes-nous face à cette situation? Plusieurs grands facteurs en sont responsables, je pense.

Définition des profils et des rôles escamotés

Une des raisons évidentes qui fait en sorte que nous sommes devant cette situation: la définition des profils et des rôles de chaque membre de l’équipe responsable d’un produit est généralement escamotée. Chaque designer possède un profil particulier qui lui permet ou non de s’impliquer dans différentes sphères d’un projet. Cela rend la définition des rôles difficile, mais d’autant plus nécessaire. Pourtant, on évite la question. De peur de brusquer quelqu’un ou encore, de perdre un certain contrôle, on préfère garder cette question floue. Chacun bâtit donc son interprétation des rôles et responsabilités des membres de l’équipe et celle-ci se retrouve devant une réalisation de projet plus ardue. La collaboration ne peut qu’en être compliquée et Macefield l’explique bien ici:

“There is a high degree of overlap between the roles of the information architect, interaction designer, visual designer, and usability engineer, so potential for conflict exists across all of them.” 

Dans mon article à propos des rôles du designer UX, je définis le designer UX comme celui qui détient davantage la vision d’ensemble du projet. Il se doit de collaborer étroitement avec tout le monde, pour permettre à tous de prendre part à la réflexion et à l’évolution du projet.

Soyons francs et honnêtes: nous avons aussi besoin d’une structure hiérarchique dans l’équipe pour qu’elle fonctionne. Ceci implique d’avoir un leader. Certains s’entendent pour dire que le designer UX est typiquement bien placé pour assumer ce rôle, comme Pabini Gabriel-Petit:

« On every project, there should be a lead designer or creative director who sets the vision, or design strategy, and is responsible for all final design decisions for that project. Typically, that person is a UX designer […]»

Cela veut aussi dire que le design graphique ne doit pas être traité comme une des dernières étapes ou en tant qu’équipe séparée, mais plutôt, comme une composante intégrée de l’expérience, et ce, tout au long du projet.

Une pratique trop inclusive

J’entends souvent des gens du domaine se plaindre que le terme «design» soit trop vague et trop large. Je ne pense pas que le problème réside dans le nom, mais plutôt dans la façon dont nous protégeons sa crédibilité.

Par exemple, le grand domaine de la médecine, qui contient des dizaines de spécialités, n’a pas besoin de se questionner quant à son nom. Ce que chacun y fait dans sa discipline est clair et établi. Ce n’est donc pas le titre «design» qui est trop inclusif, mais sa pratique. Le design n’est malheureusement pas aussi simple et rationnel que la médecine. Il est tout en nuances et parfois, les concepts peuvent paraitre totalement abstraits. Certains en profitent donc pour prendre l’étiquette et se la coller. J’ai littéralement vu ce phénomène dans certains événements où tout le monde était soudainement des «designers», cocarde à l’appui.

Comment expliquer mon incrédulité devant cette situation où j’ai l’impression que l’on fait un pas vers l’avant, mais dix pas vers l’arrière? Le design semble enfin considéré comme l’outil d’innovation qu’il est, mais tout un chacun a maintenant envie de s’improviser designer! Je tiens à souligner que jamais on ne m’aurait donné une cocarde avec la mention «médecin» ou «pharmacienne», par respect pour ce domaine.

La philosophie du design absente des programmes d’études

J’ai étudié sept ans en design, mais il m’a fallu attendre la maitrise avant d’entendre parler pour la première fois de concepts fondamentaux à propos du design. Qu’est-ce que le «design»? Quelle est la différence avec l’art? Que faisons-nous exactement? Pourquoi est-il important de se doter de méthodologies, d’analyser et d’appuyer nos choix en design? Toutes des questions qui m’ont donné mal à la tête, m’ont tourmentée, mais fascinée et qui font qu’aujourd’hui, je continue de me questionner pour connaitre et comprendre mon domaine.

Je pense donc que c’est aussi la responsabilité des programmes d’études d’ouvrir la conscience des designers pendant leurs études. Cela manque cruellement en design graphique. On semble axer l’enseignement sur la maitrise des outils, la créativité et les notions techniques, mais très faiblement sur le pourquoi du comment.

Que faire avec tout ce mou?

Que faire avec tout ce mou? Le couler dans un moule? Difficile puisque nous avons besoin de beaucoup de latitude et d’exploration en design.

En plus d’apprendre à toujours mieux travailler ensemble au quotidien, je pense qu’il faut, en amont, comprendre ce que nous faisons et protéger notre domaine. Théoriser, échanger, écouter et comprendre continuera de bâtir notre crédibilité et nous permettra de mieux nous adapter à l’évolution du domaine et des technologies.

En ce sens, pour mon deuxième et dernier article de cette série, je tenterai d’établir les huit principes qui montrent pourquoi le design graphique est si important en UX. Je pense que les grands principes sont importants pour notre domaine, puisqu’ils nous permettent de définir les terrains d’intervention et de tracer certaines limites tangibles, mais flexibles.

Pour en savoir plus : 

BUFORD, S. (2011). «Web Information Architecture : A Very Inclusive Practice», Journal of Information Architecture, 1(3), p. 19-40.

BURRY, M. (2014) «UX, Visual, or Graphic: Wich Type of Design is Right for You?», General Assembly.

GARRETT, J.J. (2010). The Elements of User Experience: User-Centered Design for the Web, 2e édition, New Riders, 192 p.

JOHNSON, J. (2010) «Designing with the Mind in Mind», UX Matters.

MACEFIELD, R. (2012) «UX Design Defined», UX Matters.

M. SIX, J. (2014) «User Experience and Accessibility | Working with Visual Designers», UX Matters.

WIKIPEDIA (2014) User Experience Design