L’expérience utilisateur… chez ma grand-mère
Par Pascale Morneau
16/09/2015
Sur un vallon de Saint-Louis-du-Ha! Ha!, en pleine campagne, est nichée la maison de ma grand-mère. Celle-ci y vit depuis 70 ans, elle y a élevé une famille de sept enfants et tenu une ferme.
Mamie améliore sa propre expérience comme utilisatrice de sa propriété depuis qu’elle s’y trouve. Elle le fait avec des moyens tout simples, car l’architecture de sa maison n’a pas changé. Je m’émerveille devant sa créativité, mais elle est gênée de ses «vieilles affaires».
L’ergonomie et le UX prennent racine dans le monde matériel que nous connaissons tous. Même la vie à la campagne peut nous inspirer. Tout comme pour maximiser son espace de vie, améliorer une expérience utilisateur ne demande pas nécessairement d’utiliser des technologies et des moyens très coûteux.
La création d’une bonne expérience demande avant tout des itérations et une compréhension approfondie des besoins des utilisateurs. Que ce soit pour un produit, un service, un objet… ou une maison, il faut connaitre l’utilisation réelle que les gens vont en faire avant de pouvoir imaginer pour eux des solutions.
Il faut également suivre l’évolution des utilisateurs, car leurs besoins et leur réalité risquent de changer avec le temps. Ma grand-mère a toujours des améliorations à apporter à sa propre expérience. Chaque fois que je vais chez elle, j’observe avec fascination les détails qui font pour elle la différence.
Voici un aperçu des leçons de UX que j’ai retirées de ma grand-mère.
L’ergonomie et l’utilité d’abord
Au fil des années, ma grand-mère a rendu sa maison plus accessible et ergonomique, pour répondre à ses propres besoins. Plusieurs objets ont été ajoutés dans son environnement pour lui permettre de bien vivre. Je trouve ces objets charmants, car ils sont utiles. En design d’interface, on met souvent en péril l’ergonomie au profit d’un idéal esthétique. Cependant, l’esthétisme et le charme peuvent aussi découler de l’utilité et du sens d’un objet ou d’un service… Voici quelques exemples inspirées de ma grand-mère et de sa demeure.
Un peu partout autour de la maison, on peut voir des manches à balais disposés çà et là. Ils sont toujours au garde-à-vous, prêts à servir de cannes à ma grand-mère pour lui permettre de visiter son immense terrain quand l’envie lui en prend.
Quelques-uns de ces objets en action…
Inspiration UX: Ce formulaire est très clair, même s’il est très long. Le processus est bien structuré et bien présenté pour offrir à l’utilisateur une vue d’ensemble de sa position tout au long de la tâche. Une solution classique, mais incontournable qui me fait penser aux cannes de ma grand-mère.
Cette poignée est apparue quand le besoin de monter plus facilement à cet endroit stratégique de la galerie s’est fait sentir. La pierre, quant à elle, fait office de marche. Il s’agit d’ergonomie et d’accessibilité. Même si elles sont pensées pour ma grand-mère, ces améliorations sont utiles à tous et permettent un passage rapide entre la maison et le jardin.
Voici une autre poignée, cette fois utilisée d’une tout autre façon. Cette bûche m’a paru très légère lorsque je l’ai soulevée par la poignée pour la déplacer. Résultat? Elle est très utile, car on peut facilement la mettre à notre portée pour y déposer nos verres ou nos bouquins.
Chez ma grand-mère, les outils se trouvent partout pour nous épargner des pas. Ils sont également légers et petits, car elle choisit les choses avec lesquelles elle est à l’aise pour travailler.
La philosophie de la maison est importante
Rien ne se perd et tout se crée chez Mamie. Chaque chose a son utilité et même après sa vie normale, un objet sera récupéré pour servir d’une autre façon. C’est même une règle de la maison. Ma grand-mère croit en cela, alors c’est naturel pour elle d’être cohérente dans ses choix.
Appliquer cela en UX relève davantage du défi et représente même un enjeu. Nous devons communiquer les philosophies de nos clients et non les nôtres. Dans un monde idéal, chaque choix que nous faisons s’inspirerait d’une ligne directrice, selon un concept bien clair.
Ce vase réinventé par Mamie est bel et bien une boite de jus récupérée et taillée. Elle a respecté sa règle de récupération tout en préservant l’harmonie de son décor. Un vase moderne et froid n’aurait aucun charme chez ma grand-mère.
Inspiration UX: Même si la plateforme Slack s’ouvre avec latence, la perception du temps d’attente passe à zéro à la lecture du compliment «You look nice today». Cela renforce l’aspect de légèreté omniprésent avec Slack et fait sourire. Comme avec la boite de jus réutilisée, on a fait une pierre deux coups tout en respectant l’essence de la marque.
Aux abords de ce jardin, les anciennes fenêtres de la maison protègent du vent les précieuses patates de ma grand-mère, ce qui leur procure la chaleur dont elles ont besoin pour battre les records de taille du village. Ce design confère à ce coin du jardin un cachet spécial et unique, tout en étant utile et écologique.
L’architecture gagnante du jardin allie organisation et proximité
Dans les jardins de ma grand-mère (oui, elle en a plus d’un), on constate bien des années d’amélioration continue.
Il y a des outils partout. Ils se trouvent à proximité des zones où ils seront utilisés. Par exemple, ces ciseaux qui servent à couper la ciboulette se tiennent tout près d’elle.
L’eau de pluie est amassée un peu partout sur le terrain. De cette manière, nul besoin de s’éreinter pour arroser les légumes. L’eau d’une gouttière de la maison est même menée près du jardin grâce à un système sophistiqué signé Mamie.
Inspiration UX: l’application de The Noun Project nous apporte son flux d’icônes graphiques à proximité, même si l’on peut aussi aller les chercher sur le site Web.
Les zones de ce potager sont très bien définies. Quand je regarde cela, je ne peux m’empêcher de penser à l’architecture d’information. On s’y retrouve très rapidement, grâce aux regroupements qui ont été créés.
Inspiration UX: le site de la ville de St-Lambert, créé par les firmes Absolunet et Adviso, représente simplement ce principe avec des catégories très claires et distinctes.
Même quand les plans n’en sont encore qu’à l’étape de germination, on s’y retrouve grâce aux noms qui sont toujours soigneusement affichés. Fait cocasse : on peut voir ici l’effort de précision des libellés: «Citrouilles, Grosse, Petites, etc.», exactement comme on le fait en architecture d’information.
En plus de permettre la définition des zones du jardin, les structures en bois sont bâties pour permettre au jardiner de bien circuler dans le potager. Elles lui évitent aussi d’avoir à trop se pencher. Si vous avez déjà jardiné, vous savez qu’un pied de hauteur peut faire une grande différence. Comme quoi une architecture intelligente permet aussi une bonne ergonomie!
Nostalgie, quand tu nous tiens
La qualité de l’expérience de ma grand-mère ne serait pas la même sans la présence de tous les objets du passé qui l’entourent. Les personnes âgées ont traversé les âges. Elles ont besoin de se rappeler leurs jeunes années. Leurs souvenirs et les objets qui les entourent contribuent à forger leur identité.
Une expérience génère inévitablement des émotions. Si nous arrivons à connaître nos utilisateurs suffisamment pour pouvoir tenir compte de leurs racines profondes, nous pouvons mieux engager un dialogue avec eux.
Chez ma grand-mère, ces vieilles pipes qui n’ont pas servi depuis plus de 40 ans se tiennent encore fièrement dans la porte du placard de l’entrée. D’autres objets, plus utiles aujourd’hui, se sont joints à elles, mais elles n’ont pas bougé.
Inspiration UX: Taste Rewind de Spotify joue la carte de la nostalgie en nous proposant des listes d’écoutes de chansons du passé qui correspondent à notre style.
S’adapter pour survivre
Les utilisateurs changent, mais les outils aussi. Les outils s’adaptent parfois d’eux-mêmes à leurs nouveaux contextes d’utilisation, mais souvent, on doit les y aider.
Ma grand-mère m’a raconté l’histoire de ces deux couteaux de 70 ans. Elle les a achetés directement de l’artisan qui passait «par les chemins». Ils étaient autrefois identiques, mais l’un d’eux a cassé et son utilisation s’est ajustée d’elle-même: il sert maintenant à gratter plutôt qu’à couper.
Inévitablement, ma grand-mère perd maintenant sa mémoire. Comment pourra-t-elle adapter une fois de plus sa propre expérience à ses nouveaux besoins, malgré le précieux accompagnement que ma tante lui procure?
Elle développe déjà des astuces pour mieux vivre avec ce handicap. Elle garde près d’elle la documentation qu’elle possède sur sa vie et elle y ajoute des notes. Elle documente aussi les choses simples du quotidien dont elle doit se souvenir. Comme cette note rappelant le nom de la propriétaire de ce plat et qui est apposée directement sur l’objet.
Conclusion
La grande leçon que ma grand-mère nous donne, c’est que le UX est d’abord et avant tout une question de bonne connaissance des utilisateurs. Qui sont-ils, que veulent-ils accomplir et comment? Des questions en apparence bien simples, mais qui demandent de récolter des masses d’information importantes et de s’immerger dans l’univers de nos utilisateurs. C’est là que la science et les méthodologies du UX interviennent, sans oublier, bien sûr, la sensibilité des professionnels qui créent ces connexions avec les utilisateurs.