Les rôles du designer UX, article 2 – L’expertise UX
Par Pascale Morneau
01/12/2013
Résumé
Il n’est pas facile d’expliquer de façon concise en quoi consiste l’expertise du designer UX. C’est l’exercice auquel je me suis livrée pour ce deuxième et dernier article sur les rôles du designer UX. Ma réflexion est supportée par le modèle de Jesse James Garrett, puisque je partage sa vision autant sur la forme que sur le fond.
En résumé, le design UX fait progresser des problématiques très abstraites vers des solutions concrètes et tangibles. L’éventail des outils et des méthodes pour y arriver étant large, je préfère, pour le moment, m’attarder sur les objectifs et les résultats d’un processus global.
L’expertise UX
Dans mon précédent article, j’ai défini cinq rôles majeurs du designer UX: le rassembleur, l’expert du squelette, le stratège naturel, le planificateur avisé et enfin, le conseiller. Pour ce billet, je vais entrer plus en détail dans l’expertise UX centrale, soit les rôles d’expert du squelette et de stratège.
Le schéma de Garrett
L’expertise UX est complexe, parce qu’elle touche à une foule de disciplines et de domaines. Cependant, plusieurs experts travaillent à définir les éléments dominants qui constituent l’expérience utilisateur. Le classique schéma de Jesse James Garrett (2010) est un très bon point de départ pour comprendre le rôle d’expert du designer UX.
Ce que je trouve particulièrement inspirant dans ce schéma, c’est qu’il permet de constater comment le design UX fait progresser un projet, de besoins généraux et plus abstraits vers quelque chose de très concret et visuel. Les cinq éléments du UX du plus abstrait au plus concret sont : la stratégie, la portée, la structure, le squelette et la surface.
Ainsi, pour comprendre l’expertise UX, nous nous baserons sur ces cinq éléments en les abordant dans le même ordre que dans un projet, soit du plus abstrait au plus concret. Il est à noter que je parle seulement de design d’interface pour alléger le texte, mais ces principes sont transposables au design de produits et de services également.
La stratégie
Pour Garrett, la stratégie est la phase du projet qui consiste, d’une part, à comprendre les besoins des utilisateurs et les objectifs du projet, et d’autre part, à savoir comment adresser ces problématiques. Dans mon précédent article, j’ai écrit que le designer UX était un stratège naturel, justement parce que la stratégie est issue en grande partie de l’analyse des besoins des utilisateurs et des objectifs du projet. Pourquoi? Parce que cette étape est le fondement de toutes les autres et que c’est le designer UX qui attache les ficelles entre ces étapes. Il devient alors naturellement stratège.
De plus, je pense qu’avec sa perspective d’ensemble et sa connaissance des détails d’un projet, il est aisé pour le designer UX de voir les pistes de stratégie. Cependant, celles-ci concerneront davantage son domaine d’expertise propre. C’est pourquoi il collabore avec des professionnels d’autres domaines et aussi bien souvent, avec des stratèges interactifs, se trouvant en amont du projet. La stratégie doit tenir compte du plus de facteurs d’influence possible, qu’il s’agisse d’identité visuelle, de marketing, de relations publiques ou autres. Tous les responsables devraient être consultés pendant la phase stratégie.
La portée
Définir la portée d’un projet permet de mieux en planifier les étapes et la durée, en plus de faciliter le travail de réalisation des collaborateurs. Cet aspect du travail consiste à définir les fonctionnalités et les contenus à mettre en place, en fonction de la stratégie adoptée et des supports de l’expérience. Par exemple, le choix de faire un site Web seulement ou de faire un projet multiplateforme incluant un site et des écrans interactifs installés dans un environnement physique dictera des requis différents, selon les spécificités de chacun de ces supports.
Définir la portée est une étape qui, lorsque franchie, permet une importante avancée dans la concrétisation du projet, ce qui favorise la compréhension des collaborateurs et des mandataires. Cela explique d’ailleurs pourquoi le designer UX devrait jouer un rôle de conseiller dans la planification, tel que je l’ai mentionné dans mon premier article sur les rôles. La compréhension des décideurs influence leurs choix quant à la découpe d’un grand projet en plusieurs phases.
La structure
La structure définit comment les éléments s’enchaînent, comment l’utilisateur les trouve et comment ils sont nommés. Il s’agit surtout ici d’architecture d’information (AI). Puisque l’AI revêt une importance majeure dans le UX et que j’en suis une grande passionnée, je vais très certainement faire des billets beaucoup plus pointus à ce sujet dans le futur. Faisons un survol de cette discipline.
Au début du processus de conception, l’architecte d’information se trouve devant des analyses (sur les utilisateurs, le domaine, les concurrents, etc.), et une masse de contenus plus ou moins concrets, dont certains n’existent pas encore. Il doit les trier et les regrouper de façon pertinente. En faisant des choix, l’objectif de l’architecte est notamment de répondre aux attentes des utilisateurs pour que ceux-ci circulent efficacement dans la structure et qu’ils l’utilisent avec aisance. Avec sensiblement les mêmes préoccupations, il contribuera aussi au choix des libellés.
Il y a un nombre infini de stratégies en lien avec l’organisation de l’information et des méthodes de travail variées pour déterminer les libellés. Ce qu’il faut retenir, c’est que l’architecte d’information a besoin de connaître les utilisateurs pour faire ce travail. C’est pourquoi les outils développés à l’étape de la stratégie le concernent directement.
Le squelette
Le squelette, c’est la mise en place concrète des éléments du site: le design général, la navigation et les contenus. Bien souvent, cela prend la forme d’un prototype à basse fidélité, aussi appelé «maquette en fil de fer» ou «wireframe», en anglais. Une structure peut mener vers de nombreux squelettes différents. C’est pourquoi il est important de distinguer ces deux étapes clairement.
En effet, l’AI est souvent escamotée pour faire place aux maquettes plus rapidement, au détriment du design d’interface, qui risque d’être incomplet et incohérent. En effet, pour s’articuler correctement, le squelette se doit d’être hautement cohérent avec les autres supports qui l’entourent et avec lui-même. La relation entre les formes, les éléments, les contenus et la structure est importante. Il s’agit aussi de se soucier autant de la macrostructure (structure générale) que de la microstructure (structure fine des informations et détails de l’interface) dans les choix de design d’interface.
La surface
La surface, c’est ce que l’utilisateur voit: des pages Web avec du contenu et un design visuel. Cette étape n’est pas à négliger puisqu’elle constitue un acte de communication important. Si le squelette et les autres phases ont été bien pensés, nous devrions voir la synergie de ces éléments dans le résultat final. Le design visuel vient polir cet ensemble et ajoute encore plus de sens à l’expérience. L’atmosphère graphique, les contrastes, les couleurs, les formes et le travail typographique agissent ensemble pour attirer le regard de l’utilisateur au bon endroit, le faire cliquer là où il le faut, lui permettre de lire aisément, etc. L’identité visuelle du produit, du service et de l’entreprise dans l’interface est également importante.
Un processus itératif avantageux
Pratiquer le design UX, c’est aussi accepter d’itérer de multiples fois, au bénéfice du projet. En effet, comme Kuniavsky, Moed et Goodman le suggèrent, l’itération permet d’adresser des problématiques et des contraintes qui n’auraient pas été prévues au départ. La réalisation devient donc plus flexible si l’on se laisse la liberté d’itérer.
Ce procédé permet aussi d’adapter les solutions en fonction d’un contexte ou d’un objectif qui se seraient précisés. Comme les choix de design visent à répondre à des choix de stratégies, il y a rarement une solution parfaite et la plupart du temps, beaucoup de compromis à faire. Par exemple, une grosse voiture puissante ne pourra pas être aussi économique en essence qu’une petite. Le concessionnaire adaptera donc ses communications aux particularités de sa clientèle qui préfère la puissance au critère écologique. L’itération permet de vérifier ces choix et de les adapter.
Enfin, un autre avantage notable de l’itération est l’unification progressive de la vision des membres de l’équipe qui prennent part au processus. On peut toujours regarder un projet en conception sous différents angles et bien que les discussions soient souhaitables, il est important de s’aligner sur une vision commune et claire.
Dans le même ordre d’idées, le respect d’une structure de travail qui va de la stratégie générale aux détails permet de rendre le travail plus efficace et plus payant, dans un processus itératif. Plus efficace parce que l’on ne travaillera pas inutilement sur des détails qui seront éliminés plus tard. Plus payant, parce que l’on est davantage assuré de choisir une solution optimale.
Le test utilisateur, un complément intelligent à l’itération
Pour atteindre les objectifs fixés au départ et tirer pleinement profit du processus itératif, les tests utilisateurs sont indispensables. Ils le complètent d’ailleurs à merveille puisqu’ils permettent les mêmes avantages que l’itération en soi (flexibilité, adaptabilité et vision commune), tout en basant les choix sur une perspective centrée sur l’utilisateur.
L’efficience et les bénéfices des tests utilisateurs ont été démontrés et prouvés plus souvent qu’à leur tour. Il serait temps de les inclure systématiquement. Pour se familiariser avec ce travail et le démystifier, l’approche de Steve Krug est à mon avis idéale. Il l’explique dans son livre Rocket Surgery Made Easy: The Do-it-Yourself Guide to Finding and Fixing Usability Problems. Cette façon de faire des tests est structurée et pragmatique à la fois. Elle s’intègre donc à faibles coûts tout en générant des résultats. Pour moi, la règle d’or en ce qui concerne les tests utilisateurs est: un test avec n’importe qui vaut mieux que zéro.
Optimiser le temps sert l’expérience utilisateur
Pour conclure, j’aimerais vous laisser sur une des phrases qui m’a le plus marquée lorsque j’ai assisté au très inspirant UX Camp Ottawa, au début du mois de novembre:
«We can do a lot more in less time if we have more time to do it»
Voici ma traduction: «On peut faire beaucoup plus en moins de temps si l’on a plus de temps pour le faire.» C’est Scott Plewes qui l’a lui-même cité de Francis Beaudet. Cela signifie que si nous sommes au courant du projet en avance ou le plus tôt possible, le recul et la perspective d’ensemble nous permettent de résoudre les problèmes plus facilement et plus rapidement. Pour moi, c’est un peu l’essence du design UX. Je pense que malgré les contraintes réelles imposées par le monde réel, c’est la plupart du temps possible de mobiliser les troupes plus tôt. Cela permet de mieux réfléchir et de prendre des temps de recul en cours de processus.
Pour en savoir plus
BUFORD, S. (2011). «Web Information Architecture : A Very Inclusive Practice», Journal of Information Architecture, 1(3), p. 19-40.
DAUMAL, S. (2012) Design d’expérience utilisateur: Principes et méthodes UX, Eyrolles, 208 p.
GARRETT, J.J. (2010). The Elements of User Experience: User-Centered Design for the Web, 2e édition, New Riders, 192 p.
GóCZA, Z. (2010). «Myth #31: UX design is a step in a project», UX MYTHS.
KRUG, S. (2009). Rocket Surgery Made Easy: The Do-it-Yourself Guide to Finding and Fixing Usability Problems, New Riders, 168 p.
KOZATCH, D. (2008). «Breaking Down the Silos: Usability Practionners Meet Marketing Researchers», UX Matters.
KUNIAVSY, M., MOED, A. et GOODMAN, E. (2012). Observing the User Experience, 2e édition, Morgan Kaufmann, 608 p.
MORVILLE, P. et ROSENFELD, L. (2007). Information Architecture for the World Wide Web, 3e édition Paris, O’Reilly, 522 p.
RESMINI, A. et ROSATI, L. (2011), Pervasine Information Architecture: Designind Cross-Channl User Experiences, Morgan Kaufmann, 250 p.
SIX, J.M. (2013), The Importance of Collaborative UX Design, UX Matters.