Le UX, aujourd’hui et demain
Par Pascale Morneau
24/04/2014
Nul besoin de discuter bien longtemps entre collègues du numérique pour que les discussions s’enflamment à propos du UX. Recherche identitaire, types de collaborations, structures organisationnelles, pratiques bonnes ou mauvaises et méthodologies de toutes sortes sont des sujets qui intéressent les gens du UX et qui les préoccupent.
Les approches et les perceptions varient en fonction des postes et des rôles de chacun. Les sujets de discussion ne manquent pas et l’on cherche à se définir, à se positionner et à s’intégrer dans les structures.
En échangeant avec des gens de la communauté UX, j’ai voulu en savoir plus sur leurs perceptions du UX d’aujourd’hui et de demain. Je les ai donc consultés en leur posant ces deux questions:
1. Dans les cinq dernières années, pensez-vous que le UX a fait des gains? Si oui, pouvez-vous en identifier un majeur et l’expliquer en quelques lignes? Sinon, expliquez aussi.
2. Que souhaitez-vous pour le UX d’ici cinq ans?
Voici les réponses de 14 passionnés du UX.
Alain Robillard-Bastien
Ergoweb – Conseiller senior UX, local/international
1. Le UX s’est complètement métamorphosé et se trouve en pleine crise d’adolescence. Nous sommes sortis du carcan de l’utilisabilité, qui était réducteur pour un secteur bien plus large. La question de l’identité professionnelle aujourd’hui est plus riche qu’elle ne l’était il y a cinq ans – et c’est tant mieux !
2. Pour le UX, je souhaite la pérennité. Plus le métier se développe, plus la valeur est comprise et, surtout, mieux créée. Il faut continuer à y contribuer avec tous les acteurs du milieu, sortir de la simple interface graphique et, du coup, assurer une pérennité bien méritée. Mais on a encore du chemin à faire pour passer de l’évangélisme à la création de valeur.
Alejandro Marin
Designer UX/UI sénior, stratégiste, innovateur
1. Malgré le fait que le UX est encore très jeune (si l’on met de côté l’ergonomie et les facteurs humains), il a déjà réussi à être reconnu par un large public en tant que facteur de réussite. C’est le cas du moins dans le domaine de l’interaction humain-machine.
2. Je souhaite que le UX dépasse ses propres frontières et qu’il s’implique dans les nouveaux défis à venir. Je pense notamment aux avancements des technologies avec l’internet des objets et l’intelligence artificielle.
Anastasia Simitis
Directrice Design & Expérience utilisateur chez w.illi.am/, cofondatrice Tout le monde UX et présidente UXPA-QC
1. Le UX est passé du stade de pratique émergente à pratique reconnue et nécessaire. Un nombre croissant d’entreprises internalisent cette expertise, car elles comprennent de plus en plus sa valeur et le bénéfice de l’intégrer de façon permanente au sein de leur équipe. C’est un grand pas, mais je crois qu’il faut maintenant savoir comment intégrer cette pratique et la faire évoluer pour en tirer le plein potentiel.
2. Pour créer des expériences remarquables, il faut que le UX soit au cœur du projet, du début à la fin. Il faut aussi briser les silos entre les différents types d’experts. Par exemple, on sépare souvent le UX du design alors qu’il s’agit d’un tandem incontournable pour conceptualiser des expériences simples, pertinentes, percutantes et agréables. Nous devons aussi travailler étroitement avec les développeurs et le responsable marketing/produit, avec qui nous façonnons la vision du produit ou du service.
Chrystel Black
Directrice du Design UX chez JDA software
1. L’évolution du UX s’inscrit dans un contexte multidimensionnel. Le markéting s’intéresse maintenant aux multiples points de contact, à la communication accrue avec la clientèle et à l’obligation d’adapter l’offre selon la demande en temps réel, etc. La clientèle a plus de pouvoir et devient dictatrice des stratégies à adopter pour la séduire. Enfin, les possibilités maintenant offertes par la technologie créent des comportements nouveaux et des attentes nouvelles.
2. Je souhaite que le UX fasse son entrée de façon définitive dans les structures organisationnelles de toutes les entreprises. Il faut que nous travaillions à faciliter notre intégration efficiente dans celles-ci. Cela doit se faire de concert avec le markéting et le développement (surtout les modèles Agile, Lean, etc.). Notre valeur est démontrée, mais notre place reste à prendre pour de bon au coeur des stratégies d’innovation et de développement.
Étienne Garbugli
Entrepreneur, consultant et auteur du livre Lean B2B
1. Le UX a fait d’énormes bonds en terme de popularité, de reconnaissance et de visibilité. La plupart des entreprises en TI du Québec ont maintenant leurs experts en UX. De plus, la prolifération des bootstrap et autres frameworks de développement priorisant le UX a donné de l’importance à l’ergonomie lors de la conception d’interfaces. Avec l’amélioration du niveau d’expertise UX général, les attentes des utilisateurs ont également augmenté.
2. Le rôle du UX doit être hautement stratégique et central au sein du processus d’innovation technologique. C’est aux spécialistes UX de faire la distinction entre l’exécution du UX et sa stratégie. Le bon UX va plus loin que les wireframes. La façon dont chacun fait la promotion du UX a un impact sur la perception et la croissance du métier. Comme communauté, il nous faut une meilleure définition du UX, s’arrimer avec les processus d’innovation et devenir de meilleurs conseillers d’affaires.
Guillaume Thoreau
Design de produit, expérience client, applications, jeux et sites Web
1. Le UX a gagné de la reconnaissance. Beaucoup d’entreprises cherchent à embaucher des UXers. La profession exerce également un fort attrait auprès de designers et développeurs qui souhaitent ajouter la corde «UX» à leur arc. Même si le UX reste difficile à définir, les gens ont été en contact avec des UXers et leurs attentes se font de plus en plus précises.
2. J’entrevois à la fois une division et une transition des métiers du UX. Une division d’abord avec l’émergence de deux spécialités indissociables, mais bénéficiant d’être exercées par deux personnes différentes: le design UX et la recherche UX. Une transition, ensuite, du design UX vers la notion plus englobante et plus simple à définir, de Product Design.
Jean-François Poulin
Consultant UX
1. Dans les dernières années, la sensibilisation à l’importance de planifier un processus a été immense. Maintenant, je me fais inviter sur des projets qui ne sont pas commencés et ça c’est bon. Par contre, je me joins encore souvent à des projets qui sont bien entamés et pour lesquels je dois améliorer le processus que le client sait déficient. L’évangélisation n’est pas terminée, car le UX évolue rapidement et les technologies aussi.
2. Personnellement, j’aime bien que ce soit encore un peu le Far West, car je m’amuse à créer de nouvelles choses. C’est donc bien égoïstement que je veux rester à la fine pointe et pouvoir ainsi participer à définir le métier. Dans cinq ans, je crois qu’il y aura de nouveaux acquis, mais aussi, j’espère qu’il restera un territoire de narration non défriché… et j’y serai… j’espère.
Joanne Fournier
Conseillère en expérience utilisateur à l’Université Laval
1. Le UX a permis d’unifier et de désigner un ensemble de spécialités qui s’imposaient chacune parallèlement. Le UX agit maintenant comme un domaine d’expertises à part entière en appui aux besoins d’affaires des organisations et devient le différentiateur de succès.
2. J’aimerais que le UX se positionne comme résultat à atteindre, comme démarche intégrée de conception et développement de produit ou service, et non comme un livrable ou une étape. Nous devons démontrer la valeur ajoutée du UX par ses résultats et passer du buzzword et nice to have au UX comme bénéfice indispensable.
Joëlle Sasseville
Designer Web et UX
1. L’importance du UX au sein des projets et des compagnies a augmenté au cours des dernières années. Plusieurs histoires à succès dans le domaine, comme celle de MailChimp par exemple, ont contribué à faire reconnaitre sa plus-value. Les besoins des utilisateurs prennent maintenant davantage de place dans les projets numériques et l’expertise des spécialistes UX est davantage sollicitée.
2. Je souhaite que le UX soit mieux intégré aux méthodologies de travail afin de favoriser une meilleure collaboration entre les intervenants d’un projet. Je souhaite également que le UX soit considéré comme un travail d’équipe et que tous les champs d’expertise soient mis à profit pour le bien de l’expérience utilisateur. De cette manière, on pourra enfin se demander «pourquoi on fait les choses» au lieu de «comment on les fait».
Jonathan Belisle
Créateur de Wuxia.ca, Architecte UX et associé @SAGA
1. Aujourd’hui, le terme UX est bien présent dans les entreprises, mais il est sur utilisé et trop souvent détourné pour ne représenter que le travail sur les interfaces. Le rôle de l’architecte d’expérience ou du stratège UX est plus large que le Web ou les applications mobiles et doit s’occuper de transformer les processus d’affaires liés à la veille, la conception, la production et l’opérationnalisation de services/produits d’une entreprise.
2. L’immersion sera le Graal. L’émotion humaine sera l’une des clés de voûte de toute recherche en UX. Tout ce qui frôlera le superficiel sera écarté. Les déroutes des agendas industriels et des programmes d’obsolescence programmée mettront la pression sur les concepteurs pour qu’ils donnent du sens aux choses. Les disciplines du UX deviendront des piliers stratégiques incontournables pour toutes formes d’organisations. Le futur du UX sera amené par ceux qui cherchent le potentiel poétique des technologies et de leurs usages et interactions.
Jonathan Parent
Fondateur et conseiller en stratégies numériques @numadn
1. À mes yeux, le plus grand gain du UX a été de faire comprendre aux entreprises mandataires la distinction entre leurs propres besoins et ceux des utilisateurs. Heureusement, les efforts de compréhension et de conception sont maintenant davantage centrés sur les utilisateurs finaux.
2. Pour les prochaines années, j’ai l’intention de militer pour une plus grande inclusion de l’aspect terrain du UX, l’aspect Get Out of the Building, afin que la qualité de ce qui se produit ne porte pas que sur la forme, mais aussi sur le fond.
Pascale Morneau
Designer UX indépendante
1. J’ai le sentiment que le UX a acquis sa notoriété dans les cinq dernières années! On réalise qu’une activité de design demande de l’empathie, de l’analyse, des méthodologies appuyées et beaucoup de collaboration. En théorie, le UX est maintenant assez reconnu pour sa force, mais en pratique, il demeure sous-utilisé.
2. Je souhaite que nous arrivions à certains standards de qualité. Les technologies et leurs possibilités évoluent vite, de plus, les pratiques varient énormément. Il faut pouvoir s’appuyer sur une grande vision commune. J’aimerais que le UX devienne de plus en plus stratégique en incluant davantage d’échanges de toutes sortes avec les utilisateurs et les collaborateurs et d’analyses poussées.
Stéphanie Le Rouzic
Consultante chez UX Recherche
1. Avant, on ne parlait pas de UX, mais d’utilisabilité. Les professionnels vérifiaient si les interfaces pouvaient être utilisées avec efficacité, efficience et satisfaction selon une norme ISO. Aujourd’hui, les entreprises analysent d’abord les besoins des gens pour choisir ensuite la meilleure solution technologique. On a inversé le mode de pensée.
2. Je souhaite que les concepteurs de sites ou d’applications aient le réflexe de faire tester leurs produits par une tierce partie. S’il est important qu’ils intègrent le client dans leur processus de réflexion, ils ne peuvent pas être juges et parties au moment où il confronte leur réalisation avec les utilisateurs. Les firmes de recherche sont là pour accomplir ce travail d’écoute, d’analyse et de restitution, comme elles l’ont toujours fait avec les tests de produits ou de campagnes publicitaires.
Thérèse Migan
Ergonome
1. Le gain majeur des cinq dernières années est la généralisation du prototypage dans le processus de conception, ainsi que la démocratisation des tests utilisateurs à partir de prototypes interactifs (réalisés avec des outils comme Axure pour ne citer que lui).
2. Je souhaite une plus forte implication des utilisateurs dans le processus de conception (au-delà des tests utilisateurs, grâce, par exemple, à la conception participative) et une meilleure reconnaissance des métiers du UX.
On s’en reparle dans cinq ans
Il semble clair que le UX a fait beaucoup de gains dans les dernières années et ce, sur beaucoup d’aspects. Nous avons aussi beaucoup d’attentes et d’aspirations pour le UX de demain. Il reste donc beaucoup de travail à faire, mais je pense que nous avons les moyens de nos ambitions.
En terminant, j’aimerais remercier tous les gens de la communauté UX qui ont accepté de partager leurs avis et leurs visions pour le UX. Vous participez du même coup à faire connaitre la valeur du UX et donc, à nous positionner.
Ce que je ne vous ai pas dit, c’est que j’ai la ferme intention de vous en reparler dans cinq ans. C’est une promesse et un rendez-vous pour 2019!